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Sortie Terrain dans le Quercy

L'excursion dans le Quercy avait été organisée par le bureau sortant de l'association Magma (Université Toulouse 3 Paul Sabatier).

26 mai : phosphatière des Bories-Mas de Got (Bach)

Le jeudi 26 mai 2022 nous sommes une dizaine de membres de Magma à avoir pu effectuer une descente spéléo dans la phosphatière des Bories (Bach, Lot) accompagnés de Thierry Pélissié, Guy Bariviera et Mathieu Etienne (merci à eux).

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La fièvre du phosphate

C'est en 1865 Jean-André Pomarède qui, intrigué par les bons rendements d'un champ du Tarn-et- Garonne, y avait trouvé de la phosphorite pour la première fois (à Caylus, à une douzaine de kilomètres de Bach).

La phosphorite exploitée était de très bonne qualité pour faire de l'engrais mais en faibles quantités par rapport à l'effort nécessaire à son exploitation. Ainsi la majorité des phosphatières du Quercy ont été exploitées avant la découverte de gisements plus rentables à la fin du XIXème siècle uniquement, rarement jusqu'au début du XXème siècle.

Les mineurs connaissaient l'existence de fossiles. La plupart étaient broyés mais certains parmi les plus beaux ont été éparpillés dans des collections à travers le monde en dehors de leur contexte de découverte ce qui a rendu difficile voire impossible leur étude paléontologique.

Formation des phosphatières du Quercy

La mer se retire définitivement de la région à la fin du Crétacé supérieur. Au Tertiaire les calcaires jurassiques et crétacés subissent une latéritisation sous un climat chaud et humide qui permet à l'eau de dissoudre les carbonates, tandis que les argiles (kaolinite principalement) et les éléments insolubles (oxydes de fer et phosphate) s'accumulent en un faciès appelé « sidérolithique ».

Les variations du niveau de base vont aussi permettre le développement du karst et le soutirage des dépôts de surface va y entraîner des restes faunistiques qui vont s'accumuler, se mélanger à ceux d'animaux piégés et d'espèces cavernicoles comme les chauves-souris.

Ce sont ces restes qui vont subir une minéralisation très rapide comme en témoigne la conservation des crânes et ossements les plus fins non brisés, de tissus mous d'amphibiens, de pupes d'insectes. La conservation est exceptionnelle et, dans certains niveaux, la concentration impressionnante faisant des phosphatières du Quercy un Lagerstätte.

Le développement de méthodes récentes comme la microtomographie à rayons X offrent des méthodes non destructives et très fines d'analyse des fossiles des phosphatières à la préservation exceptionnelle. Elles permettent par exemple l'étude de l'évolution des organes internes, des fonctions cognitives ou bien encore du plus vieux cas de parasitisme (des guêpes fossiles dans des pupes de mouches).

L'analyse des cénogrammes des espèces de mammifères renseigne sur le paléoenvironnement et enregistre un changement brutal il y a 34Ma : des forêts humides tropicale puis tempérée de l’Éocène on passe à des environnements de savane à l'Oligocène, plus secs et moins chauds. Le remplissage des phosphatières des Bories et du Mas de Got date du début de cette époque.

Les Pyrénées et le Massif central continuant leur surrection, à la toute fin de l'Oligocène les molasses issues de leur érosion bloquent les écoulements d'eaux provoquant des dépôts lacustres qu'on trouve encore plus au sud-ouest et qui vont sceller les paléokarst, assurant la conservation des phosphatières. Plus au nord du Quercy cette couverture a été démantelée plus tôt et les phosphatières ont disparu.

La phosphatière des Bories-Mas de Got

Le remplissage de la phosphatière date de l'Oligocène inférieur (repère MP22), il y a environ 30Ma. La phosphatière des Bories-Mas de Got est la localité-type de 8 espèces : cinq chauves-souris (Vespertiliavus recens, Vaylatsia pelissiei, Palaeophyllophora quercyi, Paleophyllophora nova et Mixopteryx dubia), un artiodactyle (Iberomeryx matsoui), un rongeur (Paleosciurus goti) et un reptile (Coluber cadurci).

Afin d'y accéder nous avons effectué une première descente en rappel de 20m. Nous sommes ensuite allés observer les galeries vers le nord-est puis, revenant sur nos pas, celles qui continuent vers le sud. Après un court passage en rampant dans un boyau étroit, nous avons fait une nouvelle descente en rappel de quelques mètres seulement cette fois-ci nécessitant un passage sécurisé via une main courante au bord d'un autre trou de 20m également. Nous sommes remonté par la phosphatière du Mas de Got (le vrai nom local étant “Mas de Dégot”)

On trouve au fond de la phosphatière des ossements récents et non fossilisés de chiens (Fig. 2), de chèvres et de mammifères sauvages, ainsi que plusieurs chauve-souris (Fig. 3).

Fig. 1 : plan des phosphatières des Bories (au nord) et du Mas de Degot (au sud). Réserve naturelle nationale géologique du Lot

Fig. 2 : crâne de chien ; Fig. 3 : chauve-souris

La première particularité de la phosphatière que nous avons pu constater est la présence de vestiges d'exploitation de la phosphatière au XIXème siècle, notamment les empreintes d'une brouette (Fig. 4) et des chaussures cloutées d'un mineur (Fig. 5).

Fig. 4 : traces de brouette ; Fig. 5 : empreinte de semelle de mineur

On trouve aussi des aménagements de boulins destinés à accueillir des poutres (aujourd'hui disparues) qui soutenaient les dépôts argileux de l'Oligocène supérieur remplissant une faille au dessus de la galerie (Fig. 6).

Fig. 6 : trous de boulin (à gauche) et tas d'argile effondré suite à la disparition des poutres

D'autres dépôts d'argile rouge que les mineurs n'ont pas excavés subsistent sur les parois ou au fond de certaines galeries. Les autres ont été évacués, d'ailleurs à la surface on observe encore les tas d'argiles ainsi que des blocs avec de fins encroutements de phosphorite.

Par ailleurs la phosphatière des Bories est très intéressante car elle met en évidence un déplacement tectonique horizontal suivant le plan de stratification des calcaires jurassiques.

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Fig. 7 : décalage tectonique à mi-hauteur dans une galerie ; Fig. 8 : stries

En effet, le décalage à mi-hauteur des galeries présentant une morphologie circulaire typique d'un karst noyé est très nettement observable (Fig. 7) et parfois mis en évidence par la présence de stries de direction nord-sud (Fig. 8 et flèches sur la Fig. 1).

Ce déplacement affecte aussi des dépôts de l'Oligocène inférieur ainsi que l'encroutement phosphaté autour des paroies (Fig. 9).

Fig. 9 : décalage tectonique post-sédimentaire dans des dépôts phosphatés oligocènes (avec encroutement de la paroie à gauche)

 

Il semble en revanche que les dépôts de l'Oligocène supérieur qui étaient retenus par les poutres ne soient pas concernés, ce qui permettrait de circonscrire le mouvement à l'Oligocène. Il est alors synchrone de la tectonique extensive associée au rift nord-ouest mediterranéen et à la rotation du bloc corso-sarde.

Plus loin des dépôts montrent des argiles rouges, parfois litées, avec un chenal à pisolites et agrégats ferrugineux (Fig. 11) surmonté par un niveau bréchique d'argiles jaunes remaniées dans une matrice d'argile rouge (Fig. 10).

Fig. 10 : dépôts de pisolites et à argiles jaunes ; Fig. 11 : niveau des pisolites

A la sortie des dépôts montrent une succession dont il est difficile de préciser la durée de mise en place avec des brèches argileuses à blocs calcaires liés à l'effondrement de la voute, des argiles fines litées liées à une alternance de périodes sèches et humides (Fig. 11) puis un niveau d'argiles rouges dans lequel des éléments d'argiles jaunes remaniés sont visibles, et potentiellement prometteur du point de vue fossilifère.

Fig. 12 : cyclicité dans les dépôts d'argiles rouges

Au Mas de Got ont été retrouvés une cinquantaine d'espèces dont des mammifères (parmi lesquels des artiodactyles et notamment des cainothéridés qui ont profité de la Grande coupure, a contrario de beaucoup d'autres familles), des carnivores (proches morphologiquement des ours, des mustelidés, des viverridés, des félins à dents de sabre), des chauves-souris, des périssodactyles (proches des tapirs), des primates et des rongeurs. Des reptiles (lézards, serpents et tortues) ont aussi été trouvés ainsi que des gastéropodes.

La phosphatière, comme d'autres, a été menacée par son utilisation comme décharge privée ou communale (Fig. 13) ainsi que par le pillage des restes fossiles.

Fig. 13 : sortie, à droite argiles rouges et à gauche tas de déchets

Le traçage d'un écoulement temporaire au point bas de la phosphatière a permis de révéler qu'elle appartenait au système hydrologique dont l'exutoire est la résurgence de Crégols.

27 mai : système karstique de Crégols et Trou Madame (Cénevières)

Le lendemain vendredi 27 mai nous avons rejoints Thierry Pélissié à Crégols pour parler de morphogénèse, du karst actuel et des problématiques liées à l'exploitation de l'eau.

 

Le karst quercynois actuel

Le karst actuel s'est formé suite au soulèvement du Quercy, à la baisse du niveau de base par rapport à la topographie et en conséquence à l'enfoncement des vallées des principaux cours d'eau du Lot (Dordogne, Lot et Célé) au Pliocène. Les ruisseaux et rivières plus petites sont alors passées en souterrain, ne laissant à la surface que les vallées désormais sèches.

On supposait par le passé que ces vallées avaient pû être actives pendant la période glaciaire où le sol gelé aurait été imperméable mais on ne pouvait pas retrouver de traces de pergelisols dans les vallées comme on peut en avoir ailleurs. La datation récente des eaux des aquifères jurassiques en Aquitaine, issues des infiltrations, a permis d'exclure l'hypothèse du sol imperméable en constatant la continuité des âges de ces eaux y compris pendant les périodes glaciaires.

 

La source de Crégols

Nous avons été, en rive gauche de l'ancien canal éclusier observer une sortie de l'émergence de Crégols (voir photo ci-dessous) sachant que la sortie principale se trouve sur l'île et que d'autres se retrouvent également plus en aval. Une sortie de crue se trouve aussi juste à côté vers l'amont.

Le Lot est le troisième spot mondial de plongée souterraine après les cénotes du Yucatán et la Floride. On doit une partie de l'exploration et de la désobstruction du conduit de l'émergence de Crégols au célèbre plongeur Rick Stanton.

Un forage au niveau de l'émergence de Crégols, dans le village, alimente la station de pompage et située juste à côté de la station d'épuration et, à travers elle, 22 communes du causse de Limogne.

C'est pour que la navigation fluviale ne perturbe pas le captage que l'écluse se trouve de l'autre côté du Lot (sur la commune de Tour-de-Faure) alors qu'elle devrait logiquement être dans la partie externe du méandre.

Un second conduit a été exploré à Crégols, celui de la Gourgue, qui se termine en aval par un éboulis correspondant à celui retrouvé à quelques dizaines de mètres au fond d'un conduit du système de l'émergence.

Les traçages sur le causse de Limogne ont révélé des temps de parcours très rapides jusqu'à la sortie, notamment ceux provenant de Beauregard ou de Saillac (à 13km). Il a d'ailleurs été difficile d'expliquer aux habitants de ces communes pourquoi il était plus important d'être plus vigilant vis- à-vis de la pollution qu'à Lugagnac alors que ce village, situé lui aussi dans le bassin de l'émergence, est deux fois plus proche de Crégols.

Ainsi le périmètre de protection rapprochée satellite de la source s'étend sur Beauregard mais pas sur Lugagnac. Cela s'explique par la présence dans le karst de zones de drainages, à faible temps de passage, et de zones de stockage qui permettent à la source de continuer à couler même à l'étiage.

Vers Limogne un même traçage est même sorti au Trou Madame puis, après un épisode pluvieux, à Crégols ce qui révèle que les eaux qui s'infiltrent dans ce lieu, situé juste sur la “ligne” de partage, partent d'un côté ou de l'autre selon le niveau de l'eau.

L'augmentation des besoins hydriques entraîne une augmentation des pompages dans le captage, ce qui risque, si le pompage dépasse le débit du karst, de rabattre les nappes jusqu'à pomper l'eau du Lot polluée par des métaux lourds.

C'est pour cela qu'est apparue l'idée de capter au point le plus profond du conduit. Des plongeurs ont installé une balise électromagnétique afin de le localiser. Mais celui-ci a été repéré à l'aplomb d'une colline ce qui nécessitait de doubler la profondeur du forage et posait des problèmes pour installer la foreuse. Il a donc été choisi de le faire au plus près sur le conduit, dans la vallée, avec l'inconvénient que la profondeur d'eau en réserve n'y était plus que de 10m au lieu de 50m.

La présence de gélifracts instables au fond de la vallée a aussi compliqué le forage qui s'est mal passé. Et pendant des années le pompage installé n'a pas pu être utilisé car l'ARS ne voulait pas donner son accord tant que le perimètre de protection n'était pas prescrit.

Sur la colline se trouvent aussi de petites phosphatières dans une diaclase que nous n'avons pas eu le temps d'aller voir et qui renferment des brèches à chiroptères. Ces fossiles très nombreux sont très difficilement sortables, manuellement ou à l'acide (car ils ont la même composition chimique que l'encaissant). Aujourd'hui le développement de méthode de la microtomographie testée sur un autre gisement permet d'entrevoir la possibilité de leur étude.

L'Igue de Crégols

L'Igue de Crégols est un gouffre à ciel ouvert situé à quelques centaines de mètres de la partie connue du conduit de l'émergence de Crégols.

L'hypothèse la plus convaincante explique sa forme par une dissolution profonde causée par de l'eau stagnante mais renouvelée, dans un système annexe par exemple (de l'eau courante aurait laissé une forme de canyon). Par la suite l'épaisseur du toit rocheux se serait réduite, le drain se serait enfoncé et le système annexe n'aurait plus été fonctionnel. Puis le plafond serait devenu si fin qu'il se serait effondré laissant l'igue actuelle.

Le Trou Madame (Cénevières)

En fin de matinée nous avons pu aller observer la source proche du Trou Madame. Si, en crue, elle remplit parfois la vallée sur plusieurs mètres, son débit faible en cette saison nous a permis d'y entrer jusqu'au “lac” souterrain.

Texte et photos : Dorian Malcoeffe.

Merci à T. Pélissié pour la relecture.

Mise en page web : Amélie Vrancic.

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